César a écrit :
« ce dont ils [les druides] cherchent surtout à persuader, c’est que les âmes ne périssent pas, mais passent après la mort d’un corps dans un autre : cela leur semble particulièrement propre à exciter le courage en supprimant la peur de la mort »(la Guerre des Gaules).
Ce qui m’agace toujours autant c’est qu’on argue de cette citation pour affirmer que les Gaulois, et par extension les Celtes croyaient en, et ne croyaient qu’en la réincarnation. Les textes antiques, sur le sujet, sont nombreux et contradictoires. N’en prendre qu’un et négliger les autres pour étayer une hypothèse ressort de l’à priori et ne démontre en fait qu’une profonde incompréhension du monde celte. Je ferais probablement un piètre enseignant car je crois que je ne pourrais pas m’empêcher de flanquer des coups de pied dans la tête à qui me resservirait l’antienne…
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Pourtant, on sait que César était peu enclin à la spiritualité -ses conceptions se limitaient au dualisme âme/corps- et l’on a donc quelques raisons de se méfier de son témoignage en matière de religions. Ne prête-t-il pas un seul calcul purement utilitaire aux druides et n’a-t-on pas le tort d’interpréter stricto sensu un texte déjà imprécis ? Dans cette optique, les druides auraient donc enseigné cette doctrine dans le seul but d’insuffler à leurs ouailles un grand courage guerrier ?…
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Mais, quand on confronte le témoignage de César à d’autres, la doctrine druidique semble se préciser. Pomponius Mela écrit:
« Une de leurs doctrines s’est répandue dans le peuple, à savoir que les âmes sont immortelles et qu’il y a une autre vie chez les morts, ce qui les rend plus courageux à la guerre ».(Géographie)
On aurait donc là une simple croyance survivaliste classique. Et le poète Lucain écrit à la même époque que selon les druides
« le même esprit anime un corps dans un autre monde, et, si leurs [enseignements] sont exacts, la mort est le milieu d’une longue vie, et non pas la fin ». (La Pharsale)
Le corps d’après la mort n’est donc pas un autre corps physique acquis par réincarnation, mais bien plutôt un « double » corporel (avéré dans nombre de cultures) qui survit à la mort physique pour entamer une vie nouvelle dans une autre dimension.
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D’ailleurs l’interprétation « réincarnationniste » du texte de César est largement abusive et s’appuie sur un malentendu au sujet du sens du mot « corps » : que les âmes « passent d’un corps dans un autre » peut simplement vouloir dire qu’elles revêtent un corps spirituel dans l’Autre Monde.
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La coutume des Celtes était d’enterrer les morts avec toutes sortes d’objets ce qui tendrait à témoigner aussi d’une croyance dans la vie corporelle des morts. Dans cette optique, César, encore, sans aucune ambiguité cette fois :
« les funérailles des Gaulois sont magnifiques et somptueuses eu égard à leur degré de civilisation. Tout ce que, dans leur opinion, le mort aimait est jeté au bûcher, même les animaux, et il y a peu de temps encore, il était d’usage dans une cérémonie funèbre complète, de brûler les esclaves et les clients qui lui avaient été chers en même temps que lui ».(Guerre des gaules)
A quoi, Pomponius Mela ajoute:
« c’est pour cette raison aussi qu’ils brûlent ou enterrent avec leurs morts tout ce qui est nécessaire à la vie » et « jadis, ils remettaient à l’Autre Monde le règlement des comptes et le paiement des dettes. Il y en avait même qui se jetaient sur le bûcher de leurs proches comme s’ils allaient vivre avec eux ».
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Diodore de Sicile, quant à lui, évoque l’immortalité de l’âme et nous apprend :
«c’est pourquoi aussi, pendant les funérailles, il en est qui jettent dans le bûcher des lettres écrites à leurs morts, comme si les morts devaient les lire ».
D’ailleurs, cette coutume de confier aux mourants des lettres ou des messages pour les morts est signalée encore en Irlande à la fin du XIXème siècle et elle est aussi présente dans la pratique magique des tablettes d’éxécration (plomb du Larzac et de Rom et Tablettes de Chamalières notamment : http://lamainrouge.wordpress.com/2007/11/11/la-tablette-de-plomb-de-rom-79/ )
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Valère Maxime, de son côté, précise:
« on raconte qu’ils [les Gaulois] se prêtent les uns aux autres des sommes qu’ils se rendent aux Enfers, parce qu’ils sont convaincus que les âmes des hommes sont immortelles. Je dirais qu’ils sont stupides si les idées de ces barbares vêtus de braies n’étaient pas celles auxquelles a cru Pythagore vêtu du pallium ».(Faits et dits mémorables)
Il est malheureusement évident que c’est Valère Maxime, dans son mépris inné des « barbares » qui est stupide et qu’il n’a absolument rien compris à la mentalité des Gaulois. Et qu’il n’y a là encore aucun argument en faveur de la réincarnation puisque les morts sont sensés se rembourser des sommes une fois dans les Enfers (qui d’ailleurs, n’existent pas chez les Celtes). La remarque semble uniquement indiquer une simple croyance survivaliste, sans retour ici-bas.
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La prudence étant ce qui doit être la caractéristique principale du travail du chercheur… il est certainement plus prudent d’être moins affirmatif en l’absence de témoignages directs sur les croyances celtes. Pourtant, Guyonvarc’h et Le Roux, à plusieurs reprises, sont catégoriques : « la métempsychose est absente du monde celtique »*, ou encore « il faut affirmer avec force malgré quelques auteurs anciens et beaucoup trop de modernes, qu’elle est absente des doctrines druidiques ». Et pour être tout à fait clair : « Nous n’avons aucune raison de douter -qui plus est nous devons affirmer- que la seule doctrine traditionnelle à l’usage du commun des hommes a été celle de l’immortalité de l’âme et de la vie continuée indéfiniment dans l’Autre Monde. Ce que montrent les textes insulaires, c’est que l’immortalité de l’âme et la métempsychose ont eu deux sphères d’application distinctes : l’immortalité était le destin normal et général de l’âme humaine, tandis que la métempsychose était le sort d’un ou deux individus exceptionnels, mythiques et « missionnés » ».
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* métempsychose : certains auteurs anciens et beaucoup d’auteurs modernes ont confondu, en un même concept vague l’immortalité de l’âme et la métempsychose, confondant encore sous ce nom la transmigration, la métamorphose et la réincarnation… Nos auteurs entendent ici métempsychose en son sens strict : « passage d’éléments psychiques d’un corps dans un autre ».
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Pour en savoir plus:
Laurent Guyénot : Les avatars de la réincarnation. Ed. Exergue
F. Le Roux/ C.J. Guyonvarc’h : Les druides. Ouest France
4 commentaires
Comments feed for this article
avril 20, 2009 à 9:59
BranDubh
Je suis assez d’accord avec la position de Guyonvarc’h et Leroux, à savoir le passage sous forma psychique dans l’autre monde comme lot commun, et la métempsychose, ou le retour parmi les vivants, comme évènement exceptionnel, concernant des êtres chargés d’un statut ou d’une mission particuliers… C’est qui colle le mieux à ce qui nous reste de la culture.
avril 21, 2009 à 5:55
solarus0
En effet , la réincarnation est un sujet sur lequel nous ne sommes pas tous d’accord. Ce qui nous donne un excellent sujet de débat 😉
Les grecs et les romains étaient d’accord pour dire que les Celtes croyaient en la réincarnation :
« Il y a chez les Celtes cette notion de transmigration des âmes qui pourrait sembler barbare si elle ne se retrouvait dans la sagesse platonique »
Mais en étudiant les mythes celtes, beaucoup de questions apparaissent:
Un des exemples est Cuchulainn/Setanta.
Il y est dit que ce dernier est né trois fois , la première fois sa mère se fait assassiné avant sa naissance , il s’incarne dans une deuxième mère qui perd l’enfant lors d’un accident , et ce n’est que lors de la 3ème conception que l’enfantement arrivera a terme.
Comment expliquer cela sinon par le fait que les âmes transmigrent de corps en corps pour s’incarner.
La question est alors de savoir si cela concerne toutes les âmes ou seulement les héros (Cuchulainn étant l’avatar Ogmios)
avril 22, 2009 à 7:54
lecheminsouslesbuis
@ » Les grecs et les romains étaient d’accord pour dire que les Celtes croyaient en la réincarnation :
“Il y a chez les Celtes cette notion de transmigration des âmes qui pourrait sembler barbare si elle ne se retrouvait dans la sagesse platonique” »
c’est faux … si j’ai fait de nombreuses citations c’est pour qu’on les lise … et aucune ne dit que les Celtes croient en la réincarnation. Ce n’est qu’après interprétation abusive que trop d’auteurs modernes le soutiennent…(l’auteur de celle ci ?)
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@ Un des exemples est Cuchulainn/Setanta.
« Il y est dit que ce dernier est né trois fois , la première fois sa mère se fait assassiné avant sa naissance , il s’incarne dans une deuxième mère qui perd l’enfant lors d’un accident , et ce n’est que lors de la 3ème conception que l’enfantement arrivera a terme.
Comment expliquer cela sinon par le fait que les âmes transmigrent de corps en corps pour s’incarner. »
Ce n’est qu’une interprétation au premier degré… Dans l’étude d’un mythe, il faut toujours voir derrière les apparences…
Cuchulainn nait une première fois dans l’Autre Monde où les Ulates s’étaient égarés et meurt, au grand chagrin de sa mère adoptive, Deichtine.
Il nait une deuxième fois, du dieu Lug qui féconde Deichtine, par voie orale.
Une troisième fois, il nait, pour de bon et l’on donne à sa mère, soeur du roi Conchobar, un mari convenable qui dissipe le doute de l’inceste.
On se laisse généralement prendre par l’influence chrétienne et l’horreur de l’inceste qui ont altéré le thème de la naissance de l’enfant divin, fruit des amours du roi et de sa sœur. Pourtant, c’étaient là les idées que les Druides se faisaient d’un demi-dieu de l’épopée. Elles se situent toujours dans le cadre habituel des naissances divines qui font de certains héros prédestinés les avatars de dieux de l’Autre Monde : l’union d’un dieu et d’une mortelle, en puissance d’un mari ou non, est dans l’ordre des choses possibles et le vrai père de Cuchulainn est le dieu Lug. On pense aussi à la naissance de Merlin, fils d’un incube et d’une mortelle (comme à la naissance de Dionysos). Cuchulainn ne pouvait pas naitre « normalement » …Tout cela n’a rien à voir avec la métempsychose, pas plus qu’avec une quelconque transmigration ou réincarnation.
Guyonvarc’h explique tout ça bien mieux que moi …
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@ » (Cuchulainn étant l’avatar Ogmios) »
mais non … il est l’avatar héroïque de Lug …
avril 22, 2009 à 8:57
solarus0
Désolé pour la première citation , c’est une version déformée (trouvée ailleurs) de celle de Valère Maxime que tu cites correctement.
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Concernant l’interprétation du mythe de Cuchulainn , je ne me laisse pas avoir par l’aspect incestueux , cela me rappelant d’ailleurs la Wicca , où la Déesse est fécondée par le Dieu et accouche de ce même Dieu.
« Cuchulainn ne pouvait pas naitre « normalement » » , nous sommes d’accord sur le fait que sa nature héroïque le place au delà du normal.
Mais son statut de héros ou de demi-dieu faisait donc de lui une entité indépendante de tout corps.
Dès lors qu’une telle chose est envisageable , la question est de savoir si cela fait partie de la normalité ou si c’est une exception héroïque.
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Difficile de savoir si Cuchulainn est l’avatar d’un Dieu précis ,il est le fils de Lug , mais possède les attributs d’Ogmios , notamment la force sans limite ainsi que les oghams.
Mais peut-être a t’il hérité de la « polytechnique » de son père.
Quelques questions , beaucoup d’interprétations , nous ne sommes par sortis de l’auberge 🙂
Coordialement Solarus.