ane de buridan« Il est devenu difficile de parler de ces concepts de base, car les cartes ont été effroyablement brouillées. En philosophie, la liberté a été contestée par le déterminisme dès le haut Moyen-Age, par la fable de l’âne de Buridan censé mourir de faim entre deux sacs de grains si ceux-ci sont placés à une distance rigoureusement égale de chaque côté de son museau. Plus récemment elle est contestée par certaines branches freudiennes de la psychanalyse qui nous prétendent soumis aux pulsions de nos instincts, pulsions d’autant plus puissantes qu’elles sont refoulées.

Il n’est donc pas inutile de clarifier le concept de liberté. Sans rejeter d’autres visions du problème et sans prétendre être exhaustif, je propose ce qui suit :

1) En dehors de toutes les divagations abstraites, la liberté est la possibilité concrète et sociale de suivre nos pulsions, nos instincts, nos curiosités.

2) L’Homme a en lui tous les instincts animaux, plus une curiosité d’esprit illimitée qui englobe le physique et le métaphysique.

3) L’Homme a une capacité de vivre solitaire comme le renard, la loutre et bien d’autres prédateurs. Mais il a aussi la capacité et le désir de vie en société comme le loup, les ruminants, les castors, les rats, les corbeaux et bien d’autres animaux.

La vie en société exigeant un contrat social, nous sommes fondés à dire que l’Homme est habité d’un conflit potentiel entre l’individualisme et le contrat social. Ce conflit peut donner d’une part le tyran et le gangster, c’est à dire des êtres qui n’acceptent pas la liberté des autres, d’autre part l’anarchiste, homme d’ordre social consenti, respectueux des autres, mais qui refuse toute loi qui ne correspond pas à sa loi intérieure et à sa raison.

Ce conflit est particulièrement fort chez l’Européen du Nord et le Peau-Rouge du Nord, l’un et l’autre plus capables d’aventure solitaire que la moyenne des humains.

En conclusion je dirai que la liberté est la possibilité de satisfaire nos pulsions dans la mesure où elles ne gênent pas celles des autres, et aussi nos curiosités sans barrières dogmatiques, même informulées, sans autres limites que celles de nos propres possibilités.

Le plus grand danger contemporain est dans ce « droit » démocratique qui donne aux majorités la possibilité d’imposer leurs droits aux minorités. En fait l’exercice de ce droit est entre les mains des manipulateurs des masses. Les constitutions ne limitent pas réellement le pouvoir législatif et laissent la porte ouverte à tous les abus. On ne répétera jamais assez que, contrairement à l’opinion de Descartes, le bon sens n’est pas la chose au monde la mieux partagée et que d’ailleurs le « bon sens » est souvent porteur d’illusion. Galilée et Giordano Bruno n’étaient pas seuls uniquement face à l’Inquisition; ils l’étaient tout autant face à l’ignorance et à la sottise universelle, face au « bon sens » : si la Terre tournait sur elle-même, comment les arbres, les maisons et nous-mêmes pourraient-ils tenir debout ? »

(à suivre)

(Robert Dun – Une vie de combat)