crémation Inde

 » Lorsque la vie arrive à son terme, chacun des éléments qui composent l’être vivant redevient matière première pour former d’autres êtres. Les cellules du corps physique se mêlent au terreau qui va nourrir des plantes, des animaux, d’autres hommes. Les éléments du corps subtil se dissolvent dans l’intellect universel, la conscience universelle pour servir à nouveau. Ce qu’il y a de divin dans l’homme se fond dans le divin dont il n’est séparé qu’en apparence « comme l’espace contenu dans l’urne se fond dans l’immensité de l’espace quand l’urne est brisée ».

Il est évident que l’ensemble des êtres vivants, des bactéries, des plantes, des animaux, survivent comme espèce non comme individus. A quel moment de leur évolution les hominidés auraient-ils acquis une individualité éternelle ? Il semble que déjà les sages du paléolithique considéraient que les êtres vivants ont deux âmes, l’une qui retourne à l’âme universelle, l’autre qui est individuelle et se désagrège, bien qu’elle puisse parfois survivre après la mort pour un temps limité, donnant les fantômes. Les hindous appellent « corps transmigrant » l’ensemble des facultés subtiles qui peuvent éventuellement rester quelques temps assemblées -surtout en cas de mort soudaine- avant d’être réutilisées, comme les autres éléments du corps, dans la formation d’autres êtres. d’où l’importance des rites funèbres.

On peut comprendre comment des esprits enfantins ont pu, partant de ces données, parler d’union avec Dieu ou de transmigration. Ce qu’ils oublient, c’est que le lien entre les différents éléments qui constituent le « moi », l’individualité, cesse totalement d’exister sauf dans ce que l’homme a su créer durant sa brève existence, ses fils et son œuvre.

L’homme ne survit que dans ce qu’il crée et en particulier dans la continuation de « son » espèce -d’où l’importance attachée à la race- ou dans son œuvre, les objets qu’il a façonnés, ses écrits, ses enseignements.

Les vendeurs d’enfer et de paradis ont soigneusement entretenu la croyance illusoire des hommes en une survie personnelle, si absurde qu’elle soit, car aucune des « facultés internes » -la mémoire, la pensée, l’intelligence, la notion du moi- n’existe en dehors du corps physique. Seule la mémoire génétique, dont nous sommes inconscients, se transmet, survit dans d’autres êtres.

C’est la terrifiante idée d’une éternelle survie dans un au-delà mal défini -comme si ce qui a un commencement pouvait n’avoir pas de fin- qui crée dans le monde chrétien une telle angoisse de la mort. Les hommes se cramponnent à la vie par peur de l’au-delà. La mort est pourtant une chose toute simple, un dernier sommeil dans lequel l’être tout entier se dissout, retourne, matière inerte, au chantier divin dans lequel il fut façonné comme le vase brisé redevient terre de potier.

La mort apparait alors comme la fin d’un merveilleux voyage au bout duquel on s’endort sans crainte pour se dissoudre dans d’autres êtres qui continueront le voyage. »

Alain Daniélou : « Le chemin du labyrinthe ».

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