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cuchulainn-vol1-ch01-006

Ne cherche pas de querelle violente et vulgairement basse,
ne sois pas fier, rude et hautain,
ne sois pas peureux, violent, impulsif, téméraire,
ne sois pas abaissé par la richesse qui ruine et enivre,
ne sois pas la puce qui perd la bière dans la maison du roi,
ne sois pas l’homme des longs séjours sur la frontière de l’étranger,
ne recherche pas des hommes sans réputation et sans puissance,
ne laisse pas forclore le délai en dehors d’une base légale,
conseille d’avoir recours à la mémoire pour savoir quel est l’héritier de la terre,
fais interroger les anciens historiens justement et valablement en ta présence,
qu’il se trouve des juges pour les familles et le pays,
qu’on allonge les généalogies quand naissent des enfants,
que l’on appelle les vivants et que, par leurs serments, on rende la vie aux endroits où ont vécu les défunts,
que les héritiers augmentent leur bien suivant le droit naturel,
place les étrangers suivant l’importance de leur rang.

Ne discute pas en bavardant,
ne parle pas bruyamment,
ne fais pas le bouffon,
n’use pas de moquerie,
ne […. ?….] les vieillards,
ne soit mal disposé envers personne,
ne demande rien de difficile,
ne renvoie personne sans lui accorder une requête [?],
accorde avec grâce, refuse avec grâce, promets avec grâce,
sois humble devant les enseignements des sages,
souviens-toi des règles faites par les vieillards,
observe les lois ancestrales,
n’aie pas le cœur froid envers tes amis,
sois énergique contre tes ennemis,
n’aie pas une figure de querelle dans les assemblées,
ne sois pas bavard et injurieux,
n’opprime pas,
ne garde rien qui ne te soit un profits,
couvre de ta réprobation ceux qui commettent des injustices,
ne condamne pas la vérité à cause des désirs des hommes,
ne romps pas les contrats pour ne pas être repentant,
ne sois pas querelleur pour ne pas être haineux,
ne soit pas paresseux pour ne pas être faible,
ne soit pas trop pressé pour ne pas être vulgaire,
applique-toi à suivre ces préceptes, ô mon fils

(Traduction Christian J. Guyonvarc’h « La maladie de Cúchulainn »)

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« Quand Couhoulinn eut repris sa garde, la fatigue de tant de combats tomba sur lui comme un lourd manteau. Tous les membres lui faisaient mal et sa peau, du front au cou-de-pied, était couverte de sang caillé. Il somnolait, la tête appuyée sur le poing.

C’est alors que Loeg qui veillait, lui signala qu’un homme venait vers eux. Il le décrivit ainsi : beau et grand, avec une chevelure courte, blonde et frisée, armé d’une lance à cinq pointes et d’un javelot dentelé, enveloppé d’un manteau vert retenu par une boucle d’argent.

– Il n’a rien d’un homme qui est sur ses gardes, prêt à repousser une attaque. Il marche comme si personne ne le voyait.

– C’est un sidé, dit le Chien. Il est venu par pitié pour moi, sachant en quel grand danger je suis, seul contre une armée.

Arrivé devant le héros, l’inconnu lui parla :

– Tu as montré ce que tu valais Couhoulinn, mais le moment est venu pour toi d’accepter de l’aide.

– Qui es-tu pour me proposer de m’aider ?

– Je suis ton père du sid, Lug-au-Long-Bras.

– Mes blessures sont graves, il me faudrait une guérison rapide, et du repos, surtout du repos.

– Dors donc, Couhoulinn, trois jours et trois nuits. je combattrai à ta place pendant ce temps là.

Il lui chanta alors la Plainte de l’Homme et le blessé sombra dans un profond sommeil. Puis il regarda une à une chacune des blessures qui s’assainirent et se cicatrisèrent à l’instant.

Quand le héros reprit conscience à l’aube du quatrième jour, le nombre des cadavres sur la rive lui montra que de rudes combats s’étaient livrés pendant son sommeil. Il ne put interroger Lug qui avait disparu. Mais Loeg lui dit que trois fois cinquante jeunes garçons étaient venus d’Emaïnn Macha, qu’ils avaient livré une bataille chaque jour et que tous étaient tombés, après avoir tué trois fois leur nombre d’ennemis.

Couhoulinn entra dans une grande colère et jura de les venger. Ses premières contorsions le rendirent horrible et multiforme. Ses membres se mirent à trembler; ses orteils et ses genoux vinrent derrière lui, ses talons et ses mollets devant ; il fit alors le Cuach Kera de son visage. Il s’enfonça l’un de ses yeux dans la tête, de telle façon que, de sa joue, un héron aurait eu du mal à l’atteindre au fond de son crâne. L’autre oeil jaillit si bien qu’il fut dehors sur sa joue. Sa bouche se contorsionna de façon étrange. Il sépara sa joue de l’os de sa mâchoire, si bien qu’on lui vit le gosier. On entendait retentir le battement de son cœur entre ses côtes comme les aboiements d’un chien de guerre. Ses cheveux se dressèrent autour de sa tête. Si l’on avait agité au-dessus de lui un pommier royal, c’est à peine si une pomme serait tombée à terre, mais une pomme serait restée fixée à chacun de ses cheveux. La lumière du héros se leva sur son front.

Alors, il bondit sur son char de guerre que, sur sa demande, son cocher avait équipé avec des faux, des pointes de fer, des tranchants acérés, des épieux ; avec des épines pointues qui étaient fixées aux montants, aux courroies, aux cintres et aux cordes du char. Il lança alors le tonnerre de cent, le tonnerre de deux cents, le tonnerre de trois cents, car il ne désirait pas qu’un nombre égal à cela tombât par lui dans sa première attaque. Il fit décrire à son char un grand cercle autour des armées des quatre cinquièmes de l’Irlande. Son allure était si rapide que les roues de fer arrachaient du sol assez de terre et de pierre pour construire une forteresse. Puis il se jeta en plein milieu des forces de l’ennemi. Il le fit trois fois de suite, si bien qu’ils tombèrent jambes contre jambes, nuque contre nuque, tant était épaisse la masse des tués. »

Olier Mordrel, Les Hommes-Dieux. Ed. Copernic

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Corneilles et corbeaux avaient la même importance pour les premiers Celtes que pour les Vikings. Lugh, ou Lug, dont le nom signifie « celui qui brille » était le dieu celte de la Lumière. Son nom ressemble au gaulois Lugos, qui peut signifier « corbeau ». Lugh pourrait avoir été, comme Odin, un dieu aux corbeaux, car il a aussi partagé avec Odin les arts de la guerre et de la sorcellerie. Dans Le Livre des conquêtes (XIIe siècle) qui consigne les traditions légendaires irlandaises, des corbeaux préviennent Lugh de l’approche de ses ennemis. Ce dieu guerrier était aussi vénéré en Gaule. Le nom gallo-romain de la ville de Lyon, Lugdunum, signifie « colline des corbeaux », ainsi appelée parce qu’un vol de corbeaux montra aux premiers colons l’endroit où s’installer.

L’imagerie celte des corbeaux et des corneilles est plus chthonienne que solaire. De nombreux corbeaux ont été trouvés enterrés dans des tombes celtes datant de l’âge du fer, et l’un d’eux, trouvé à Winklebury (Wiltshire), en Angleterre, était disposé avec les ailes étendues au fond d’une fosse, peut-être objet d’un sacrifice. Les corvidés étaient associés avec les déesses guerrières Bodbh et Morrigann : chacune avait le pouvoir de prendre une forme triple, et leur apparence avant et pendant le combat en prédisait l’issue. Dans la saga irlandaise La Mort de Cuchulainn, le héros rencontre trois corneilles qui viennent se poser sur son épaule, sans doute une manifestation de Bodbh, en route vers la bataille. Elles l’amènent par ruse à violer un tabou en mangeant la chair d’un chien : peu après, Cuchulainn, mortellement blessé, s’attache à une pierre levée afin de mourir debout. Ses ennemis l’observent de loin, se gardant de l’approcher, jusqu’à ce qu’une corneille, Bodbh elle même, se pose sur son épaule.

Les histoires galloises des Mabinogion sont à peine plus proche du monde de la chevalerie. Dans « Le Songe de Rhonabwy », les chefs Arthur et Owein s’affrontent dans un jeu assez semblable aux échecs, tandis que leur entourage est en pleine bataille. Arthur est accompagné de ses chevaliers, mais les compagnons d’Owein sont des corbeaux enchantés capables de se relever de leurs blessures et même de la mort. Les corbeaux sont sur le point de vaincre les hommes d’Arthur, quand les deux chefs mettent fin à leur confrontation et déclarent la paix.

Dans l’histoire de « Branwen, fille de Lyr », le héros est le géant Brân, dont le nom, en gallois, signifie corneille ou corbeau. Sa sœur Branwen (corneille blanche) a épousé un chef de clan irlandais, mais elle a été violée par son mari. Elle envoie un étourneau à travers la mer pour avertir son frère de son déshonneur, et les armées de Brân envahissent bientôt l’Irlande. Après une terrible bataille, Brân et ses hommes massacrent les Irlandais, n’épargnant que cinq femmes enceintes réfugiées dans une grotte. Brân lui même est mortellement blessé, et seulement six de ses guerriers survivent. Sur l’ordre du géant, ses propres hommes lui coupent la tête, qui continue à parler, et la ramènent à Londres. Ils l’enterreront à l’emplacement où se trouve maintenant la Tour de Londres, et, selon la légende, les corbeaux de la Tour sont l’esprit de Brân. Aussi longtemps qu’ils n’auront pas disparu, l’Angleterre ne sera jamais envahie.

Porteurs de leçons morales, les animaux de ces épopées sont aussi objets de contemplation : dans une scène célèbre des Mabinogion, « Peredur, fils d’Ewrawc », Peredur (Perceval le Gallois) croise un corbeau en train de manger un canard dans la neige, et se met à rêver à sa bien-aimée. la blancheur de la neige lui rappelle sa peau, le plumage noir de l’oiseau sa chevelure, et deux gouttes de sang évoquent la fraîcheur de ses joues. Cette scène sera déclinée en de multiples variantes dans la littérature, depuis l’épopée de Wolfram von Eschenbach, Parzifal, jusqu’au conte rapporté par les frères Grimm, Blanche-Neige.

Boria Sax, Corbeaux. Delachaux et Niestlé. (adaptation)

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Fand, épouse de Manannan qui lui rend sa liberté, s’éprend de Cuchulainn (vivent au Sid pendant un mois)

Bran : voyage jusqu’à l’Ile des Femmes après qu’une femme de l’Autre Monde soit venue lui laisser une branche d’argent. Quand il en revient, un de ses compagnons, qui a débarqué, tombe en poussière.

Coule le Beau préfère l’amour de la femme du Sid qui lui laissé une pomme, lors de sa visite, à la tendresse des siens et part avec elle pour la Terre des Vivants.

(Soleil = source de vie

Lune = régulatrice de nos existences)

Pwyll = Rhiannon lui apparait sur un cheval qu’il est le seul à pouvoir rattraper. Un mariage est prévu, mais lors du banquet, Pwyll est obligé de promettre de donner Rhiannon à un solliciteur. Au bout d’un an, comme prévu, nouveau banquet : muni d’un sac magique, Pwyll arrive, habillé comme un mendiant et demande que l’on remplisse le sac de nourriture. Le sac magique ne peut se remplir et Pwyll demande au prétendant de tasser la nourriture avec son pied et il le met dans le sac, qu’il ferme avec les lacets.

Pwyll et Rhiannon ont un enfant qui disparaît. Les suivantes jurent que c’est elle qui l’a tué. Elle est condamnée par son mari à porter pendant sept ans sur son dos tous les hôtes qui se présenteront. L’enfant est retrouvé = Pryderi.

Rhiannon, veuve, épouse Mananann : elle est prisonnière dans un château où elle doit porter les licols des ânes, et Prydéri doit porter les marteaux de la porte. Mananann les délivre.

Kernunnos = force fécondante

Kernunnos. Dans une première phase, il règne avec son épouse sur le monde souterrain. Dans une seconde phase, il est abandonné par la Reine mais devient le souverain de la nature régénérée, tandis que son rival a pris sa place sur le trône d’en bas. Mais il finit par triompher de ce rival et par reconquérir son épouse et son trône tandis que la Nature s’enfonce dans sa léthargie hivernale. Alors il perd ses cornes. Chaque hiver la vie de la nature se réfugie sous terre pour en resurgir au printemps. Quand, fécondée par la force créatrice, la Terre-Mère a accouché d’une vie nouvelle, elle commence à tromper la puissance créatrice pour la puissance destructrice. La ramure de cerf qui, à ce moment, pousse à l’époux trahi, symbolise à la fois l’épanouissement du règne animal et celui du règne végétal.

Finn. Le Guerrier Cumaill (Camulos ?) tombe amoureux de Muirné, fille du druide Tagd qui s’en plaint au roi Conn. L’armée royale tue Cumaill. Nait Deimné. Caché, élevé par des druidesses, il épouse Cruithné, la fille du forgeron Lochan. Il cherche son oncle et les Fianna survivants et doit aller s’instruire auprès du sage Finegas. Il fait cuire le saumon Fintan (=Connaissance) mais , lors de la cuisson, se brûle le pouce, qu’il suce. Il l’avoue à Finegas qui le nomme Finn.

Finn épouse aussi une biche et en a un fils : Oisin (faon). Il passe une partie de l’année chez l’habitant (=Kernunnos sous terre) et une autre en pleine nature. Finn est le dieu cerf et les Fianna, les génies cervidés de la forêt.

Finn épouse Grainné qui le hait. Elle impose un geis à Diarmaid, un Fianna, pour l’obliger à s’enfuir avec elle. Ils sont poursuivis pendant sept ans. Finn les retrouve et feint de se réconcilier mais s’arrange pour que Diarmaid soit tué lors d’une chasse au sanglier. Grainné s’allonge sur le corps de Diarmaid et meurt.

Pour le dédommager d’une blessure à l’œil, Oengus Mac Oc part en quête d’une femme pour Midir, son père adoptif. Il ramène Etaine, la plus belle fille d’Irlande que celui ci épouse. Mais son autre femme, Fuamnach, jalouse, transforme Etaine en mouche pourpre et la propulse dans les airs avec son souffle/vent druidique. Au bout de sept ans, elle est recueillie dans la frange du manteau d’Oengus. Quand Fuamnach l’apprend, elle récidive et la transforme en un petit ver. Avalée dans une coupe par la reine d’Ulster. Elle est « accouchée » puis épouse le roi suprême d’Irlande. Mais Midir vient la chercher et ils s’envolent tous les deux, transformés en cygnes.

Llew Law Gyffes (Lug Lamfada) a été maudit par sa mère Arianrhod : jamais il n’aura de femme humaine. A partir de fleurs Gwydyon (le Dagda gallois qui l’a élevé) et le roi Math créent Bloddeuwedd qui épouse Llew. Infidèle, elle le fait tuer par son amant. Gwyddyon le ramène à la vie et il tue à son tour l’amant. Bloddeuwedd est métamorphosée en chouette.

Cuchulainn et Emer se promettent l’un à l’autre, mais le père d’Emer, Forgall ne veut pas la lui donner avant qu’il n’ait reçu l’initiation guerrière de Scatach. A son retour, au bout de dix lunes, Cuchulainn trouve le château de Forgall barricadé, mais il saute par dessus la triple enceinte et enlève Emer.

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et pour bien enfoncer le clou : –

Dans un livre superbement illustré qu’il vient de consacrer aux Celtes, Venceslas Kruta évoque, parmi beaucoup d’autres sujets, l’épopée irlandaise d’autrefois . Il est frappant que celle-ci décrive un idéal héroïque analogue à celui des poèmes homériques. L’acteur principal de ces récits dont la tradition orale a été transcrite au Moyen Âge est Cuchulainn, héros du royaume d’Ulster. Tout jeune, il entend dire selon les présages druidiques : « Le petit garçon qui prendra aujourd’hui les armes sera brillant et célébré, mais aura la vie courte. » Aussitôt, il abandonne ses jeux et va demander au roi de recevoir ses armes. Les ayant obtenues, il retrouve le druide auteur de la prédiction. Celui-ci tente de le dissuader, suggérant avec effroi le sort qui lui serait réservé. Mais Cuchulainn n’éprouve nulle crainte : « Ne serais-je au monde qu’un jour et qu’une nuit, peu m’importe, pourvu que restent après moi mon histoire et le récit de mes hauts faits. »

On songe naturellement au personnage d’Achille dans l’Iliade. Par avance, lui aussi connaît son sort et l’a choisi. Tout jeune, comme Cuchulainn, le choix lui a été offert entre une vie longue et paisible loin des combats, et une vie intense, glorieuse et brève, coupée net dans l’éclat de la bataille. Et c’est celle-ci qu’il a voulue, léguant aux hommes de l’avenir un modèle de grandeur tragique. Comment expliquer une telle identité aux deux extrémités du monde européen ancien, sinon par une parenté fondamentale ? Le culte du héros sacrifié à sa propre gloire ne se rencontre dans aucune tradition littéraire d’autres grandes cultures, alors que, de façon tardive et appauvrie, il sera encore chanté dans La Chanson de Roland.

L’identité spirituelle que révèlent les épopées européennes anciennes est confirmée par l’archéologie. L’âge du bronze européen, que l’on voit se former entre le IVe et le IIe millénaire avant notre ère, présente une grande unité formelle. Les mêmes épées, les mêmes boucliers et les mêmes cuirasses d’un style pur et d’une finesse admirable sont présents dans les sépultures mycéniennes de la Grèce archaïque et dans les tombes du Danemark, des Grisons ou de Champagne. Il en est de même pour bien d’autres objets significatifs. Et l’on sait, grâce aux travaux des linguistes, que les peuples européens anciens proviennent d’une même souche parlant une même langue indo-européenne archaïque, dont sont issues toutes les langues de l’Europe actuelle. On sait encore, grâce cette fois aux travaux de la mythologie comparée, qu’une même vision du monde était commune à tous ces peuples, qu’ils soient celtes ou hellènes, en attendant les Romains et les Germains .

Ce n’est qu’après la dispersion des peuples indo-européens que l’on pourrait aussi appeler boréens, pour distinguer la langue et les locuteurs, que ceux-ci connaîtront des évolutions différentes, influencées par leur contact avec des peuples autochtones et par des conditions climatiques qui ont déterminé des modes d’existence distincts. Deux mille ans et plus sous le soleil sec de la mer Égée ont nécessairement façonné le mode de vie, l’idée que l’on se fait des choses et le style décoratif autrement que les forêts nimbées de brume de l’Europe continentale et septentrionale. De ces différences sont nées la culture grecque et la culture celte . En apparence, elles sont étrangères l’une à l’autre, alors que ce sont deux manifestations contrastées d’une même tradition dont Homère nous a légué l’expression littéraire la plus achevée et la plus accessible.

Dominique VENNER : éditorial de la NRH n°21

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En cherchant la description des épreuves d’admission au sein de la confrérie guerrière des Fianna, j’ai trouvé ces deux analyses particulièrement intéressantes et riches d’enseignement. Il serait dommage de simplement les résumer, je les livre donc in extenso…

Poortvliet cerf

« Les initiations guerrières prenant le cerf comme référence archétypale, bien que moins fréquentes que celles basées sur les carnassiers, sont attestées chez de nombreux peuples indo-européens et non indo-européens.

La mieux connue de ces initiations par le cerf est celle des Fianna celtes. La tradition et les mythes irlandais nous révèlent l’existence d’une sorte de confrérie ou « ordre » équestre composé d’hommes d’élite, les Fianna, commandés par Finn ou Demné « le Cerf », qui évoluait en marge des communautés tribales.

L’animal totem était le cerf, dont les membres acquéraient les particularités : vie en forêt, rapidité de déplacement, vigueur sexuelle, etc. Totem qui renvoie à un couple primordial d’opposés complémentaires mythiques qui structure une vision du monde précise : Finn le Cerf, en effet, rencontre toujours sur son chemin aventureux des sangliers ou des truies qu’il lui faut affronter et vaincre, imposant là une transposition de l’ancienne opposition préhistorique du cheval et du taureau, la dualité essentielle entre le masculin et le féminin, entre la vie et la mort.

Finn est lui même le fils de Cumall -le Camulos gaulois cité par César, l’équivalent du dieu Mars- et de Muirné, fille de Tagd, druide suprême d’Irlande. Il est l’incarnation de la fonction guerrière, mais aussi, par sa mère, du pouvoir spirituel et de la connaissance, entretenant des liens étroits avec le monde des morts. Finn saumonCe que confirme un épisode relaté par le mythe. Alors qu’il étudiait l’art de la poésie auprès d’un vieux sage sur les rives de la Boyne, il mangea un saumon qui lui donna le don de voyance et de prophétie : il lui suffit de mettre son pouce dans la bouche et de chanter « l’illumination du chant » pour que lui soient révélées les vérités cachées de toute question. A l’évidence, nous sommes là en présence d’un rite chamanique antérieur à l’arrivée des Celtes en terre irlandaise et que ceux-ci intégrèrent dans leurs pratiques magiques.

Toutes les aventures des Fianna, de Finn, d’Oisin et de leurs compagnons s’articulent autour de ces thèmes. Des quêtes et des batailles prodigieuses précèdent des rencontres extraordinaires avec des fées ou des revenants issus de l’autre-monde, mais un autre-monde que les Celtes concevaient souterrain et dont les accès se faisaient par les collines et les tertres, d’où une perpétuelle circulation entre les vivants et les défunts.

Lié à aucun territoire de l’Eire, bien qu’à l’origine il était relié au royaume de Leinster, et échappant aux règles de l’ordre établi, le groupe des Fianna parcourait l’Irlande de part en part, étant partout chez eux, se nourrissant chez l’habitant l’hiver et du produit de leur chasse l’été. Les récits indiquent leurs missions : garder les ports, faire régner la justice et l’ordre et collecter l’impôt, louant leur service aux rois, tout en se consacrant à la chasse et aux activités intellectuelles, comme l’art oratoire et la poésie.

Confrérie errante, versant parfois dans le brigandage, les Fianna étaient en rapport intime avec la nature, et d’abord avec la forêt. Leur recrutement était le résultat d’une sélection sévère et de nature initiatique dont la source première était Cernunnos, le maître du savoir suprême qui ordonne et commande aux forces de la nature, recevant de lui la puissance, la lumière supérieure, la fécondité et la révélation, grâce aux « voyages chamaniques », des secrets des trois mondes. En outre, il leur fallait être lettrés et connaître intégralement les douze livres de la poésie sacrée irlandaise qu’ils devaient réciter sans une faute.

Finn_Mac_Cumhal

Guerriers d’élite, ils devaient satisfaire à des épreuves précises et difficiles : placé à mi-corps dans un trou, le futur Fianna, armé seulement d’un bouclier et d’une baguette, devait soutenir l’attaque de neuf guerriers -chiffre hautement symbolique et chamanique (la perfection, la fin et le commencement d’un cycle, c’est à dire la transposition sur un nouveau plan, un « monde neuf » auquel accède un « homme neuf »)- ; courir nu dans la forêt « comme un cerf » pour échapper à la poursuite de trois guerriers, sans recevoir une blessure, sans se faire rattraper, sans que la chevelure ordonnée en tresses, symboles des bois du cerf, ne soit dérangée et sans qu’une brindille n’ait craqué sous les pieds; sauter,à l’instar d’un cerf, par dessus une barre placée à la hauteur du front; arracher, sans ralentir sa course, une épine fichée dans le talon; « combattre comme un cerf », c’est à dire affronter d’autres guerriers à coups de tête. De plus, grâce au « feth faida » qui implique la connaissance suprême permettant la métamorphose animalière, le guerrier Fianna pouvait se rendre invisible, procédé sur lequel nous sommes mal renseigné. Versée à la fois dans l’art de la guerre et dans l’art de la poésie, celle-ci impliquant alors la connaissance des mystères divins, la confrérie des Fianna devait acquérir la renommée, la puissance, mais aussi la crainte auprès du peuple et des pouvoirs réguliers avec lesquels elle entrait souvent en conflit.

Le mythe nous révèle en effet que la Fianna entra en conflit ouvert avec l’un des plus grands rois d’Irlande, Cormac Mac Art (fin du IIe siècle-début du IIIe siècle), guerre d’où la confrérie sortit vaincue, mais dont la mémoire gaélique conserva la trace : les mythes firent des Fianna les génies de la forêt, des « génies cervidés de la sylve ».. Et c’est sans doute les restes de guerriers-cerfs de type Fianna, dont les têtes étaient couronnées de bois de cerf, qu’ont livré les sépultures découvertes à Téviec et à Hoëdic, près de Quiberon en Bretagne. Il faut voir dans l’histoire de Finn et de la Fianna, liée à l’idéologie pan-indo-européenne que constitue le phénomène des sociétés guerrières initiatiques, les prémices du mythe du roi Arthur et des chevaliers de la Table Ronde, mais aussi l’existence de guerriers d’élite entourant les chefs et les rois. »

Bernard Marillier : Le cerf : symboles, mythes, traditions, héraldique.

finn

« Les Fianna rentrent dans une autre typologie guerrière. Cu Chulainn et ses compagnons étaient les héros du clan, ils concentraient l’énergie totémique de leur lignée. Les combattants de Finn par contre, doivent se séparer de leurs familles et faire vœu de ne plus participer à la justice tribale (venger les morts de la famille ou être vengés par eux). Ils paraissent avoir constitué une confrérie initiatique militaire qui imposait à ses aspirants des épreuves autant guerrières que magiques.

Mais bien que la force et l’adresse dans le combat continuent de faire la différence entre les combattants mineurs et les grands héros, la nature du pouvoir martial n’est plus la même. Cu Chulainn surclassait ses ennemis par la « furor » belliqueuse qui le transformait en berserk. Finn, le fondateur mythique de la milice, et ses hommes font appel à une force à coloration spirituelle et druidique. A part les qualités physiques et athlétiques, les Fianna doivent apprendre les subtilités de la culture et de l’art, l’ordalie physique étant doublée de l’apprentissage des douze formes traditionnelles de poésie. La poésie était à l’époque une activité magique, le barde ayant des pouvoirs similaires au druide; une satire par exemple, était utilisée comme une malédiction qui liait les plus braves guerriers. Finn, l’homologue de Cu Chulainn, mais aussi d’Arthur, devient un héros, confond ses ennemis et fonde la confrérie des Fianna après avoir mangé « le saumon de la sagesse », poisson merveilleux qui lui permet de prévoir l’avenir et de manipuler psychiquement ses adversaires. »

Corin Braga : Le paradis interdit au Moyen Age

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L’initiation des adolescents dans l’antiquité

Chez les peuples Celtes

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cuchulainn-2 Jusqu’à l’âge de sept ans, il était laissé aux mains des femmes. A ce terme intervenait une rupture majeure. Brusquement déconditionné, l’enfant quittait le cercle familial pour être confié aux membres d’un autre clan qui devra se charger de son éducation. Là, le garçon sera soumis à un apprentissage ponctué par des épreuves qui lui permettront d’aborder les étapes initiatrices. Cette période s’est appelée « fostérage », ou encore « nourrissage ».

Nourrir un jeune garçon impliquait de le faire bénéficier d’une éducation complète qui incluait la préparation guerrière.

De cette pratique partout répandue, la littérature celtique tardive a laissé quelques exemples. A travers la geste de héros tels que Cûchulainn, Finn, Tuan mac Cairill chez les Irlandais, Kulhwch et Peredur chez les Gallois, il nous est possible de déceler les traces de classes d’âges noyées dans le récit de leurs exploits.

Les Gaulois n’ont pas laissé d’annales. Néanmoins nous retrouvons une trace du «nourrissage» dans le Mabinogi de Pwyll, Prince de Divet. Nous y voyons Pryderi, le fils de Pwyll, confié dès l’âge de sept ans, selon la coutume, au seigneur Teyrnon. La mère elle-même, la reine Rhiannon, accepte le fait comme allant de soi. Cela bien que son fils ait été enlevé alors qu’il n’était encore qu’un nourrisson et qu’il vint tout juste de lui être rendu. Cette double séparation, qui la laisse frustrée des joies maternelles, n’appelle cependant de sa part aucune protestation.

Relevons ici un fait remarquable : pour la plupart d’entre eux, les Héros sont présentés comme « les fils de la sœur ». C’est une constante qui se retrouve dans nombre de récits médiévaux avec l’expression « beau neveu » employée par le roi à l’adresse du jeune chevalier. En Irlande, Cûchulainn est le neveu du roi Conchobar, puisque le fils de sa sœur Dechtire. Diarmaid est le neveu de Finn, le chef de la Fianna, mais ce ne fut pas pour son bonheur. Chez les Gallois, Maelgwin a pour neveu Elffin, qui secourut Taliesin, ce en quoi il fut bien mal récompensé par son oncle. Le roi Math, fils de Mathonwy, transforme, non sans raison, ses neveux en animaux. L’un d’eux, Gwydion, revenu à la forme humaine, enseigne et arme son propre neveu, Lie-Llew Llaw Gyffes, le fils de sa sœur Arianrod. Le roi Marc’h de Cornouaille envoie en Irlande son neveu Drystan (Tristan), afin de demander pour lui-même la main de la blonde Essylt, (Yseult). Mais Drystan, en combat singulier, tue le Morholt, qui est l’oncle d’Essylt. Comme chacun le sait, l’histoire de cet avunculat croisé finit mal. En Gaule, nous avons l’exemple du roi mythique Ambigatios envoyant ses neveux Bellovèse et Ségovèse à la conquête de nouveaux territoires…

Le cycle arthurien est prodigue de cette filiation matrilinéaire. Arthur a pour neveu Gauvain, Agravain, Guerrehet et Gaheriet, tous quatre fils de sa sœur, épouse du roi Lot d’Orcanie, et encore Yvain, fils d’Uryen, roi de Gorre… ce dernier étant l’oncle de Baudemagu, lequel aura pour neveu Patrides le Hardi. Pellès, le Roi-pêcheur, est l’oncle maternel de Perceval, lui-même un avatar du héros gallois Peredur, qui recevra de ses deux oncles maternels conseils et hospitalité. Le roi Ban de Benoic, s’il est le père de Lancelot, est aussi l’oncle de Bohort et de Lionel. Le réseau de ces filiations recouvre le légendaire arthurien en même temps qu’il présente un miroir de la société médiévale. Tous ces neveux, cousins entre eux à des degrés divers, se reconnaissent de même sang et par ce fait se doivent assistance et secours, perpétuant ainsi la loi d’entre’ aide inter familiale qui liait entre eux les clans ceItiques. Loi non écrite quoique toujours observée. Elle se réfère à la coutume du fosterage.

L’enfant en âge de quitter le milieu parental était généralement confié au frère de sa mère. Cela parce que celui-ci possédait un droit de regard sur la préservation de la dot que toute jeune fille apportait avec elle lors de son entrée dans sa nouvelle famille comme l’écrit César (B.G, VI-19) : « Les maris mettent en communauté, avec la somme d’argent qu’ils reçoivent de leurs femmes, une part de leurs biens égale à cette dot. On fait de ce capital un compte-joint et l’on en réserve les intérêts : Celui des deux époux qui survit à l’autre reçoit la part des deux avec les intérêts accumulés »…

La surveillance de la bonne gestion des biens de la mère était assurée, soit par son père, soit par I’aîné de ses frères, et cette surveillance s’étendait aussi sur les biens de l’enfant, qui trouvait ainsi en ce parent, un père de substitution.

Un autre argument en faveur du fosterage et de sa perpétuation, est apporté par la relation de coutumes anciennes en matière de droit successoral : «..Les Irlandais racontaient que les Pictes ayant envahi I’Irlande peu de temps après l’établissement des fils de Mile, Eamon, chef de ceux-ci, les avaient chassés et transférés en (Grande) Bretagne. Mais il leur avait donné pour femmes, car ils n’en avaient pas, les veuves des guerriers de la race de Mile qui avaient péri en mer avant la conquête de l’Irlande, à condition que dorénavant chez eux les héritages se transféreraient par les femmes et non par les hommes. L’explication mythologique confirme le fait… Ce mode de succession créait des relations particulièrement étroites entre les enfants et les frères de leur mère» . Une note fait remarquer que le mode de succession du Fils de la sœur s’est maintenu sous les rois irlandais.

cuchulainn-21En matière d’initiation guerrière, l’exemple le plus percutant est fourni par le récit des enfances de Cûchulainn, le héros irlandais . Chez ce champion congénital, les classes d’âges sont allègrement bousculées puisqu’il les franchir d’un bond en dépit des délais prescrits. Dès l’âge de cinq ans, il s’impose au milieu d’une troupe de garçons qui sont ses aînés, alors qu’ils s’exerçaient au hurling, (une sorte de hockey sur gazon irlandais) sous les yeux de leur précepteur. Non content de les battre à plate couture, il en malmène plus d’un. La hiérarchie des âges, il la bafoue encore lorsque dès sa sixième année il affronte et tue un animal féroce, le dogue qui gardait la demeure de Culan le forgeron. Sa septième année atteinte, il se considère mûr pour sa prise d’armes. Il met en pièces plusieurs chars de combat avant de n’accepter comme seul digne de sa valeur que le char du roi lui-même. Au cours de sa première ronde sur les frontières, il tue les trois fils de Necht et attache leurs têtes à son char. Il capture deux cerfs à la course, leur adjoint un vol de cygnes pris au passage. Chargé de ces trophées, il se présente devant la citadelle royale encore en proie à la fureur sacrée du guerrier. Trois cuves d’eau froide, dans lesquelles on le plonge successivement, parviendront à peine à le ramener à son état normal.

La période d’initiation se terminera pour lui en Alba, c’est-à-dire en Écosse, auprès de la reine guerrière Scathach qui lui apprit ses tours les plus secrets, dont le fameux gae-bolga ou jet du foudre. En d’autres temps, elle enseigna Mog-Ruith, qui fut l’un des plus grands des chefs druides d’Irlande. C’est auprès d’elle que Cûchulainn rencontrera Ferdiad, son frère d’armes. Plus tard, le destin les verra s’opposer 1’un à l’autre au cours d’une joute mortelle. Scathach fut aussi son initiatrice sur le plan sexuel, puisque telle était la vocation de ces « reines de pique » auprès des jeunes gens qui venaient à elles.

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Extrait de « Initiation des adolescents dans les sociétés antiques »

de Renée Camou

« Alors Cuchulainn se leva et prit la parole:

Lugaïd, mon fils, tu seras le roi suprême. Tu dois connaitre tes devoirs. Les voici: ne sois pas excitateur de querelles stupides. Ne sois pas fougueux, vulgaire ou hautain. Ne sois pas peureux, violent, prompt, téméraire. Ne sois pas un de ces ivrognes, qui détruisent et qu’on méprise. Prends garde de te faire comparer à une puce qui gâterait la bière des cinq rois provinciaux. Ne fais pas de longs séjours sur la frontière des étrangers. Ne fréquente pas des hommes obscurs et sans puissance. Ne laisse pas expirer les délais de la prescription contre une injustice. Que les souvenirs soient consultés pour savoir à quel héritier doit revenir la terre contestée. Exige conscience ainsi qu’équité de la part des jurisconsultes que tu appelleras. Que les enfants soient régulièrement inscrits sur les arbres généalogiques. Que les héritiers deviennent riches, si tel est leur juste droit. Que les détenteurs étrangers aux familles s’en aillent, et cèdent la place à la noble force des successeurs légitimes.

« Ne réponds pas avec orgueil. Ne parle pas bruyamment. Evite la bouffonnerie. Ne te moque de personne. Ne trompe pas les vieillards qui ne peuvent défendre leur droit. N’aie de prévention contre personne. Ne demande rien qui outrepasse le pouvoir de celui qui t’obéit. Ne renvoie aucun solliciteur sans réponse. N’accorde, ne refuse, ne prête, ne promets rien sans de bonnes raisons. Reçois humblement les enseignements des sages. Souviens-toi qu’un loi ancienne qui a fait ses preuves est meilleure qu’une loi nouvelle. Vénère nos ancêtres. Aie le coeur chaud pour tes amis. Sois sans pitié pour tes ennemis. Veille qu’en toutes circonstances ton honneur soit sauf. Ne sois pas un conteur qui ne sait pas s’arrêter. Ne persécute persone. N’amasse rien qui ne soit utile. Le reste, donne- le. Ne laisse pas une iniquité sans réprimande. Que ta justice ne soit pas corrompue par les passions des hommes. Respecte le bien d’autrui. Ne sois pas querelleur pour ne pas être haï. Ne sois pas paresseux pour ne pas être faible et dédaigné. Ne t’agite pas sans raison, si tu veux être considéré. Consens-tu à suivre ces conseils, mon fils ? »

Lugaïd promit de s’y conformer, baisa son père trois fois et s’en fut avec les députés de Tara. »

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incarnation de lointains ancêtres,

et mémoire oubliée de peuples antiques …

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« …ou que nous attendons sur les gués par où passent leurs routes de migration. »

C’t’amusant, depuis que je m’interroge un peu sur les gués, je n’arrête pas de voir partout des références à ce sujet. Quand ça se passe comme ça, ma sorcière dit qu’il y a de l’écho et j’aime bien cette expression, c’est exactement ça … de l’écho … première référence : dans le bouquin que je suis en train de lire sur Mélusine, enfin plutôt que j’essaie de lire parce qu’il faut bien avouer que c’est parfois assez chiant … dans le contenu mais aussi dans la présentation, comme ce procédé de renvoyer toutes les notes en fin de chapitre : je vois difficilement mieux pour casser la lecture et la concentration… C’est pourtant dans ces notes que j’ai trouvé les références d’un article : »R. Louis, « une coutume d’origine préhistorique : les combats sur les gués chez les Celtes et chez les Germains ». Je n’ai aucune idée de ce que ce monsieur Louis peut dire des combats sur les gués, mais la première partie de la phrase « une coutume d’origine préhistorique » me permet de faire très arbitrairement le lien entre mes deux époques de prédilection même si je n’ai aucune idée non plus de ce qui peut permettre à ce monsieur Louis de prétendre que c’est une coutume d’origine préhistorique … certainement pas le fait que les « hommes du renne » attendaient leurs proies au passage des gués, quoi que … sait-on jamais …
Quoi qu’il en soit, les références au gué sont nombreuses dans la mythologie celtique et cette coutume mystérieuse du combat dans les gués a été attestée dans les textes et prouvée par l’archéologie
Il y a d’abord Cuchulainn qui, lors de la malédiction des Ulates (condamnés à une faiblesse périodique par la déesse Macha et incapables de se battre),à laquelle il est le seul à échapper, se positionne sur Ath Gabla (le Gué de la Fourche) de manière à repousser les troupes de la reine Medb (Razzia des Vaches de Cooley)
Cúchulainn, mené par son cocher Lóeg, arrive à un gué dont la gardienne lave le linge ensanglanté du héros, ce qui présage de sa mort prochaine. Passant le gué, il arrive dans la plaine de Muirthemné, où l’attendent ses ennemis.
Cette allusion à la gardienne d’un gué peut évoquer les « Parques » celtiques, ancêtres des « lavandières de la nuit », qui lavent sur un gué, c’est-à-dire à la frontière de l’Autre-Monde, les dépouilles des héros qui vont bientôt périr …
(il est question quelque part, mais je ne m’en souviens que de mémoire, des Nones gauloises -contraction de « matrones » ?- qui seraient les déesses du destin…)

Dans un épisode apparaît une anguille. C’est le résultat d’une métamorphose de la Morrigane/ Bodb (corneille), ou déesse de la guerre qui, dépitée de ne pas être aimée du héros Cuchulainn, vient sous cette forme dans le gué où il combat contre les hommes d’Irlande et s’enroule autour de sa jambe. Cuchulainn l’arrache brutalement et la jette contre les rochers

La route principale de la province d’Ulster va jusqu’au « Gué de la Veille » où Conall, « un bon guerrier des Ulates s’y tient pour veiller et protéger et pour que des guerriers étrangers ne viennent pas chez les Ulates les provoquer au combat ».

La rivalité entre Conall (héros Ulate, frère de lait de Cuchulainn) et Cet (guerrier du Connaught dont un druide a prédit qu’il tuerait la moitié des hommes d’Ulster) prend fin après un raid de ce dernier dans le Leinster, où il tue vingt-sept guerriers et leur tranche la tête. Conall peut le suivre à la trace du sang laissée dans la neige, il le rattrape à un gué et le tue dans un combat épique, tout en étant lui-même blessé.

Après la mort du roi Conchobar et de son fils Cormac Cond Longas, on propose la royauté d’Ulster à Conall qui la refuse, ayant mieux à faire chez Ailill et Medb en Connaught. Le roi ayant une nouvelle maîtresse, son épouse demande à Conall de le tuer, ce qu’il fait avant de réussir à s’enfuir, mais il est rattrapé par les guerriers du Connaught qui le tuent au gué de Na Mianna (aujourd’hui Ballyconnell, comté de Cavan)

Laissons Cuchulainn pour la bataille de Mag-Tured : la Morrigane a invité le grand dieu Dagda à la rejoindre à sa maison près du gué. « L’un des pieds de la femme dans l’eau touchait Allod-Eche au sud ; l’autre pied également dans l’eau touchait Lescuin au nord. Neuf tresses flottaient détachées de sa tête. Dagda s’unit à elle. Dès lors cet endroit s’appela le lit des époux. » Elle prédit à Dagda l’arrivée des Fomore, le jour de la bataille et qu’elle tuerait leur roi « elle versait du sang d’Indech plein ses deux mains à l’armée qui attendait l’ennemi au gué ». Ce gué s’appela « gué de l’anéantissement ».

C’est aussi dans un gué qu’a lieu un combat entre deux druides, par disciple interposé, Mog Ruith et Colphta: Colphta, l’Orgueilleux , un des cinq druides du roi Cormac , son aspect terrifiant ne l’empêche pas d’être vaincu par le druide Cennmar , disciple de Mog Ruith.

Toujours en Irlande, une Triade cite : Trí hátha Hérenn: Áth Clíath, Áth Lúain, Áth Caille.
Les trois gués d’Irlande : Ath Cliath (Gué des Claies), Athlone (Gué de Luan), Ath Caille (Gué du Bois).

Ath Liag Finn: C’est le nom d’un gué où Finn jeta une pierre plate tenue par une chaîne d’or, cadeau d’une femme du sidh. La légende dit que la pierre et la chaîne seront ramenées un dimanche, par une ondine, sept jours avant que ce monde ne finisse.

Arawn, maître d’Annwn -l’Autre-Monde- , propose à Pwyll qu’ils échangent leurs royaumes à condition que ce dernier batte, mais sans le tuer son rival Hafgan lors d’un duel sur un gué . Il y réussit

Dans le cycle Arthurien, Lancelot doit combattre un chevalier, Alybon, gardien du gué de la Reine, sur l’Humbrie, aux ordres de Guenièvre (ce qui rappelle aussi les combats avec le Chevalier Noir, gardien de la source de la Dame de la Fontaine…).Gué éminemment symbolique puisque c’est là qu’au temps de sa conquête, Arthur a rallié ses meilleurs chevaliers: Gauvain, Keu, Loth, et Yvain.

D’ailleurs, il existe un texte irlandais racontant la naissance mythique d’Yvain/Owein. On y apprend que le héros a été engendré, près du gué de l’Aboiement, lors d’une nuit de Samain.
.
Le passage du gué et les combats qui s’y livrent ne sont pas l’apanage des insulaires , et, parmi d’autres exemples, Rabelais nous montre Gargantua buvant le Thouet au gué de Ligaine, près de Taizé.
Et lors d’une guerre qui oppose Gargantua à Pichrochole, » sa jument pissa pour se relâcher le ventre, mais ce fut en telle abondance qu’elle en fit sept lieues de déluge. Tout le pissat dériva au gué de Vède, et l’enfla tellement au fil de l’eau que toute cette troupe des ennemis fut noyée horriblement  »

On l’a vu, en Irlande, la divinité féminine tutélaire du gué, c’est donc la Morrigane, déesse de la guerre, et le fait que le gué, dans la Razzia des Vaches de Cooley soit le lieu des combats singuliers de Cuchulainn contre les guerriers envoyés par les Irlandais en fait un point de rencontre ou une limite qu’on ne traverse que si on le peut, par exemple si l’on est initié.
Le gué est le lieu séparant le monde sensible de l’Autre Monde, endroit privilégié des affrontements et combats singuliers pour le héros en quête d’initiation.L’initiation druidique, elle, consistait à passer trois nuits et deux jours de méditation dans un lieu sacré, en contact avec les “divins ancêtres” et ce pouvait très bien être aussi au milieu d’un gué comme symbole du “passage ”, un de leurs lieux de prédilection. Mais le gué n’est pas obligatoirement le passage vers l’autre monde, vers la mort ; il peut être aussi, comme le souligne l’Arbre Celtique, « un passage vers la connaissance qui, si l’on suit les grands textes mystiques, induit l’existence de ces deux mondes comme en « surimpression » et c’est ce que dit W. Kruta à propos de l’art celtique: une surimpression du cyclique et du permanent. Ce qui rend les choses un peu « floues » pour des cartésiens ».
Une épigraphe gallo-romaine atteste de l’existence d’une Ritona , déesse particulièrement proche du gué qui se dit en gaulois « ritu », continuation d’un mot indo-européen « prtus » désignant le passage, le gué, le pont. Elle serait donc la déesse gauloise attachée aux gués, peut être même aux combats de gués puisque, comme le dictionnaire des symboles nous le dit, l’archéologie a souvent mis à jour dans l’ancienne Gaule « des armes à l’emplacement de gués, ce qui tendrait à prouver que la coutume irlandaise du combat de gué, en celtique continental et brittonique, se rattache à celle du passage et de la course » (« ritu » signifiant aussi « la course »… et on peut aussi rappeler, incidemment; qu’une course est à l’origine de la malédiction lancée par Macha induisant la « maladie des Ulates »…).
« Le gué (« dictionnaire des symboles ». Chevalier/Gheerbrant) symbolise le combat pour un passage difficile, d’un monde à un autre, ou d’un état intérieur à un autre état. Il réunit le symbolisme de l’eau (lieu des renaissances) et celui des rivages opposés (lieu des contradictions, des franchissements, des passages périlleux) ».

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